jeudi 20 novembre 2025

DOSSIER 137

 

Le réalisateur s’attache au travail d’une flic de l’IGPN, la police des polices, enquêtant sur une bavure policière, pendant la crise des Gilets jaunes. Dominik Moll décrypte pour nous les enjeux passionnants de ce polar pas comme les autres.


Encore un film sur le travail de la police, après « La Nuit du 12 ». D’où vient cet intérêt ?


Ça vient de La Nuit du 12 justement, et du livre de Pauline Guéna que j’ai adapté. Pauline avait passé un an en immersion à la PJ de Versailles. Elle a décortiqué le travail des différents services de police, y compris dans ses parties les plus ingrates, celles qu’on voit peu au cinéma ou à la télé, ça m’a intéressé. La Nuit du 12 m’a donné le goût de l’exploration de cette institution.


Votre attention se porte cette fois sur l’IGPN, la police des polices…


Ce service a éveillé ma curiosité. On trouve des centaines de films sur la PJ, mais je n’ai rien trouvé sur l’IGPN. Il y a eu une série télé avec Jean Rochefort (Les Bœuf-carottes). Au cinéma, on voit parfois apparaître la police des polices, souvent deux flics caricaturaux. Cela m’offrait une façon différente de revisiter le genre. Mais il y avait aussi l’envie de parler du maintien de l’ordre, de la relation entre citoyens et police.


Pourquoi situer le film pendant la séquence des Gilets jaunes ?


Ce mouvement fait partie de l’histoire de la France, il est complètement inédit, il a ébranlé le pouvoir. Après le Covid, on a passé un grand coup d’éponge et on n’en a plus parlé, c’est fou. Comme beaucoup, j’ai été pris de court, je ne savais pas quoi en penser au début, il y avait beaucoup de soupçons autour, alors qu’il y avait des revendications réelles et légitimes méritant d’être entendues.


Expliquez-nous ce que vous appelez ce côté « ingrat » de la police ?


J’aime bien comprendre comment les choses fonctionnent. Dans La Nuit du 12 et Dossier 137, je ne veux pas juste retenir les moments purement cinématographiques, avec des gens poursuivant d’autres gens, armés de flingues. Je veux être au plus près de ce à quoi ressemble une enquête, mais sans en faire un documentaire. Plutôt une fiction très documentée. Utiliser le temps qu’on passe à préparer des réquisitions, à écrire des PV, et rendre tout cela intéressant.


Vous vous plongez dans la rhétorique de la procédure, comment parvenez- vous à y intégrer l’humain et l’émotion ?


Un film de cinéma passe par l’incarnation et l’humain. Il nous faut des personnages à aimer ou à détester, dont on a envie de suivre le parcours, auquel on s’identifie. Je n’élude pas la rhétorique administrative, ça fait partie de leur travail. C’est un langage un peu abscons. Dire « nous nous sommes transportés au domicile de », au lieu de « on y est allé »… Pour eux, c’est une façon de rester neutre et factuel, de ne pas mettre d’affect dans ces rapports. C’est aussi un moyen de se préserver. Le film parle de ça. Le personnage de Léa Drucker essaie de ne pas se laisser envahir par les émotions. Ce serait un « biais ». Je comprends cette logique.


Comment avez-vous dirigé Léa Drucker, dans ce personnage qui semble impassible mais qui ne l’est pas ?


Léa Drucker savait que j’avais fait une immersion de quelques jours à l’IGPN. Elle aussi a rencontré deux enquêtrices avec qui j’avais gardé contact. Elle leur a expliqué que son outil de travail, c’étaient les émotions. Quid des enquêtrices, face à une mère qui porte plainte parce que son fils a été blessé par des policiers ? Leur réponse : on met un couvercle dessus, on ne montre rien, on enquête à charge et à décharge sans se laisser envahir par les émotions. Ça nous a aidés de définir une ligne de jeu. Sachant que, bien évidemment, le personnage ressent des choses. Le spectateur devait percevoir qu’il se passe plein de choses à l’intérieur d’elle. Léa a cette finesse de jeu. Elle fait cela avec beaucoup de nuances, elle n’est pas dans la performance.


Vous a-t-on déjà accusé d’avoir fait un film anti-flics depuis sa présentation, en compétition à Cannes ?


D’abord, non, je ne suis pas anti-flics. Ni anti ni pro-flics, en fait. Dans une démocratie, une police est nécessaire, mais l’ordre ne consiste pas seulement à protéger le pouvoir. Toute contestation n’est pas une ennemie d’État. Pas mal de policiers ont déjà vu le film, j’ai eu de très bons retours. Ils perçoivent que le film est dans le questionnement, pas dans la dénonciation, surtout dans un monde clivé tel qu’il l’est aujourd’hui. Il faut juste savoir nommer les choses. Le film n’élude pas le fait qu’il existe des violences policières, mais ne dit pas que tous les flics sont des assassins. Il y a aussi eu des manifestants qui ne pensaient qu’à en découdre. Les policiers ont parfois des gestes d’exaspération. On peut comprendre leur fatigue. Pour moi, il s’agit davantage d’une question de responsabilité politique. On les envoie en première ligne et, dès qu’il y a un problème, ils sont pointés du doigt. Mais il y a des décisions derrière cela : le surarmement, le discours guerrier, la doctrine du maintien de l’ordre basé sur la répression et la mise en application par des unités dont ça n’est pas la mission principale. Cela ne peut que mener à des blessures. Le film ne généralise pas. J’ai assuré beaucoup d’avant-premières. Les échanges ont toujours été sereins et constructifs.


Peut-être parce que vous avez fait un film dont le thème est précisément la recherche de la vérité…


Un combat majeur, d’autant plus dans un monde où les faits sont confondus avec les opinions. Dans mon immersion à l’IGPN, j’ai été frappé de voir à quel point ils travaillaient sur des images. Ils passent énormément de temps à les récupérer, à les analyser. Toutes sortes d’images. Il est intéressant de noter que, même quand on possède une vidéo montrant quelque chose, on n’est pas sûr d’être face à une vérité objective. À propos d’un geste potentiellement menaçant de la part d’un manifestant par exemple.


« La Nuit du 12 » : sept César, succès critique et public… Quand il faut reprendre la caméra après un tel succès, est-on paralysé ?


J’ai connu la même chose avec Harry, un ami qui vous veut du bien (2000). Après coup, j’avais en effet ressenti cela comme quelque chose de paralysant. Il fallait faire mieux, etc. Aujourd’hui, j’ai un peu plus de bouteille, je relativise les choses, y compris les récompenses. Je me concentre sur le travail, sans inhibition. Christophe Caron, La Voix du Nord


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